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Enquête sur Vincent Bolloré : «Ange milliardaire français » ou « démon au visage humain » ?

Enquête sur Vincent Bolloré : «Ange milliardaire français » ou « démon au visage humain » ? (ACTE I) – Source photo : Les Echos.fr


 

En présentant un profil d’agneau à son arrivée, le Breton n’a été jusqu’ici, pour beaucoup de fils de l’Afrique, qu’un loup affamé de fric, enterrant du coup les nombreuses illusions de certains pays africains.

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En 2014, à Fresnes (une localité département du Val-de-Marne en France), un reporter de la chaine d’information internationale France 24 lançait, pour le compte de son employeur, la phrase suivante : « Pour nous les médias, Vincent Bolloré représente l‘image parfaite du héros contemporain…Celui qui incarne le capitalisme nouveau, l’entrepreneur éthique, qui avait su concilier paix sociale et rentabilité financière». Il parlait là de la huitième fortune de France. Un magnat  dont le visage poupin se confond à celui du prince du cash-flow,  comme on l’appelait dans les années 1980. Vu d’Europe, le portrait du golden boy breton brille avec les nombreux signes extérieurs de richesse (yacht de luxe et jet privé notamment). Le personnage fascine. Le milieu voit en lui un mélange rare de financier et d’industriel, capable de coups en Bourse tout comme d’investissements à long terme, dans une logique de conglomérat.

Le groupe diversifié Bolloré a, en mars 2015, publié jeudi un bénéfice net part du groupe en hausse de 157% à 564 millions d’euros, tiré par les activités de transport-logistique et de communication. On n’oubliait pas de souligner que la chute des prix du pétrole avait lourdement pesé sur sa branche « logistique pétrolière » (-20%), mais qu’elle avait parallèlement bénéficié d’un important effet de changes, sans lequel son activité aurait baissé de 2%.

Vu d’Afrique…

La litanie devient amère. Soupçons, collusions, « l’ange milliardaire français » est, sur une bonne partie du continent, « un démon au visage humain ». Il est présent dans 46 pays du continent depuis plus de cinquante ans.  « L’Afrique est un réservoir de matières premières agricoles et sa population devrait doubler d’ici à 2 050, passant de 800 millions à 1,6 milliard d’habitants », précise la direction de la communication du groupe. « L’Afrique, c’est 25% du chiffre d’affaires du groupe Bolloré et 80% de ses bénéfices », évalue Labali Sarr, un économiste sénégalais.  Et  voilà que remonte à la surface une autre facette de M. Bolloré : les activités de ses entreprises en Afrique.

En vingt ans, ce continent est devenu un des piliers d’un groupe dont il a longtemps constitué la « face cachée ». L’Afrique ne représente, certes, qu’un quart de son chiffre d’affaires officiel (1,4 milliard d’euros sur 6,4 en 2007). Mais, avec ses dix-neuf mille salariés, ses deux cent agences réparties dans quarante-trois pays et les installations hautement stratégiques qu’il contrôle (ports, transports, plantations), M. Bolloré y agit comme un empereur conquérant dont les réseaux politiques et médiatiques constituent les armes favorites.

Le 17 octobre 2017, sur un plateau animé par Alain Foka, l’analyste politique camerounais Cabral Libii Li Ngué, s’est exprimé sur la méthode peu humaniste de Vincent Bolloré en Afrique. “C’est connu partout en Afrique. Le groupe Bolloré, c’est un groupe qui ne fait que du bénéfice au détriment du social “,  a-t-il observé. «  Il a eu un désengagement institutionnel pour favoriser Bolloré au Cameroun », a-t-il glissé évoquant la concession du chemin de fer  par l’Etat du Cameroun au Breton.

Maître de la logistique

La bataille qui fait le plus de bruit dans les médias est celle des ports africains, lesquels constituent la clef de voûte de son réseau local de transport et de logistique. Le groupe Bolloré est en effet propriétaire de plusieurs sociétés qui ont fait fortune, à l’époque coloniale, dans le transport, le transit et la manutention des produits d’import-export avec le continent. Les deux principales sont la Société commerciale d’affrètement et de combustibles (SCAC) d’une part, rachetée en 1986 et fusionnée par la suite avec d’autres branches du groupe pour donner naissance à SDV Logistique internationale ; et d’autre part SAGA, sœur jumelle de la précédente, rachetée après moult intrigues en 1997.

En outre, Bolloré profite de la vague de privatisations imposée aux pays africains par les institutions financières internationales (IFI), obtenant la concession d’infrastructures stratégiques héritées, elles aussi, de l’époque coloniale – comme, en 1995, la Société internationale de transport africain par rail (Sitarail), qui relie le Burkina Faso à la Côte d’Ivoire, et, en 1999, la Camrail, compagnie ferroviaire du Cameroun qui joue un rôle essentiel dans le désenclavement du Tchad et de la Centrafrique.

En  ce qui concerne les installations portuaires, Bolloré a – en seulement cinq ans – raflé, à travers ses différentes filiales et parfois en partenariat avec d’autres opérateurs, la gestion de plusieurs terminaux à conteneurs mis en concession : Douala (Cameroun), Abidjan (Côte d’Ivoire), Cotonou (Bénin), Tema (Ghana), Tincan (Lagos, Nigeria) et plus récemment Pointe-Noire (République du Congo où il ambitionnait d’investir 374 milliards de francs CFA (570 millions d’euros) à partir de 2009 dans le cadre de ce contrat de vingt-sept ans).

 

 

La dernière conquête est le port en eau profonde de Kribi (au Sud-Cameroun). Pour remporter la concession de ce dernier au premier trimestre de 2016, Bolloré a utilisé tous ses leviers d’influence. Notamment François Hollande, en visite au Cameroun le 03 juillet 2015. « C’est l’alors président de la France qui a convaincu les dirigeants camerounais », révélait en avril 2016, une enquête menée pendant 06 mois part une équipe de France 2. «  Le consortium franco-chinois Bolloré/CMACGM/CHEC (BCC), attributaire en août 2015 du contrat de concession du terminal à containers du Port de Kribi, n’aurait pas été retenu initialement lors de l’étude des offres », avait-on alors entendu sur la chaine de télévision publique de l’Hexagone.

Qui perd gagne

 « Si on gagne, on gagne, si on perd, on perd, c’est la vie des affaires », avait conclu, philosophe, Vincent Bolloré. Une   jolie façon d’enterrer les polémiques qui entourent l’attribution des concessions portuaires dont il a lui-même bénéficié, comme à Douala au Cameroun, ou à Abidjan, où l’Etat ivoirien lui a confié ce marché de gré à gré (et en pleine guerre…), en 2004.

Si les ports africains sont à ce point convoités, c’est qu’ils constituent d’inestimables sources de pouvoir à la fois politique et économique : grâce à eux, douanes obligent, de nombreux Etats remplissent leurs caisses ; à travers eux aussi, on contrôle, information précieuse, les flux entrants et sortants du continent… « L’Afrique est comme une île, reliée au monde par les mers, expliquait un ancien du groupe Bolloré en 2006. Donc, qui tient les grues tient le continent (9) ! » L’enjeu paraît d’autant plus important que l’arrivée sur le continent noir de nouvelles puissances, la Chine en tête, donne du souffle à ceux qui se proposent d’assurer la logistique, le transit et le transport des marchandises.

Fort bien implanté dans ce secteur, le groupe Bolloré affiche régulièrement des résultats record. « En Afrique de l’Ouest, nos parts de marché sur les matières premières sont de l’ordre de 50 à 70 % suivant que l’on parle du cacao ou du coton », expliquait en 2015, réjoui, Dominique Lafont, directeur général Afrique du groupe. « En Afrique de l’Est, elles sont plutôt de 15 à 30 %. Mais, partout, nous sommes le premier opérateur ». Le conglomérat multiplie aussi les contrats dans le domaine de la logistique pétrolière, minière ou industrielle : avec Total en Angola, au Cameroun ou au Congo ; avec Areva pour l’uranium du Niger ; pour des mines d’or au Burkina Faso ou une centrale électrique au Ghana, etc.

Réseaux

Manifestement, la «vie des affaires » n’est pas qu’un hobby de gentlemen… Comme  pour toutes ses activités africaines, M. Bolloré fait jouer ses réseaux afin de remporter les marchés. « Les ministres, on les connaît tous là-bas », indiquait, 2016, le directeur général du groupe Gilles Alix au journal confidentiel français la Lettre du Continent. « Ce sont des amis. Alors, de temps en temps – je vais être clair -, on leur donne, quand ils ne sont plus ministres, la possibilité de devenir administrateurs d’une de nos filiales. C’est pour leur sauver la face. Et puis on sait qu’un jour ils peuvent redevenir ministres (10) ». Au Gabon, le groupe, qui convoite la mine de fer géante de Belinga, bientôt exploitée par les Chinois, a placé la fille du président Omar Bongo, Pascaline, à la tête de sa filiale Gabon Mining Logistics. Fort de ces soutiens multiples, Bolloré évolue en bonne harmonie avec les pouvoirs amis, dans la plus pure tradition de la «  Françafrique ».

Menu fretin

En outre, les activités africaines du groupe Bolloré bénéficient, indirectement, de certains programmes d’aide publique pour le développement des infrastructures et, directement, de contrats publics. Pour Bolloré, ce sont « des sommes résiduelleset uniquement dans des secteurs où personne ne veut s’aventurer ; par exemple, le transport en Afrique, où nous sommes les seuls. Tout cela représente quelques dizaines de millions d’euros, c’est-à-dire moins de 1 % de notre chiffre d’affaires ». Tout ” résiduels “ qu’ils soient, ces contrats publics – notamment avec les ministères des Affaires étrangères ou de la Défense – relèvent en général d’intérêts stratégiques. Quand la France envoie – ou rapatrie – des troupes en Afrique, comme pour l’opération « Licorne » en Côte d’Ivoire), les nombreuses filiales du groupe Bolloré apparaissent souvent indispensables. « Toutes les opérations sont réalisées avec la plus stricte sécurité et confidentialité », lit-on, en surimpression d’images de véhicules blindés, sur un prospectus distribué par la branche Défense de SDV…

S’il ne rechigne pas à communiquer sur l’aspect «humanitaire » de son activité (« une manne considérable », selon un responsable de SDV au Cameroun), le groupe ne fait pas toujours preuve de la même transparence. On a pu ainsi s’étonner de ses excellentes relations avec Denis Sassou Nguesso au moment où, à la fin des années 1990, celui-ci revenait au pouvoir au Congo-Brazzaville à la faveur d’un coup d’Etat et au prix d’une très sanglante guerre civile. Les liens entre le groupe et Charles Taylor, à la même période, ne sont pas moins obscurs. Comment se fait-il, s’interrogeait-on en 1998, que la société belge Socfinal, dont Bolloré est l’un des principaux actionnaires, ait obtenu la concession d’une immense plantation d’hévéas au moment même où Taylor prenait, dans le sang, le pouvoir au Liberia ?

Sous le titre « Facilitateurs ou complices passifs ? », on apprend dès le premier rapport, paru en avril 2001, que SDV, filiale à 100 % du groupe Bolloré, figure ” parmi les principaux maillons de ce réseau d’exploitation et de poursuite de la guerre. Des milliers de tonnes de colombo-tantalite ont ainsi été chargées à partir de Kigali ou ont transité par le port de mer de Dar es-Salaam “. 

Les experts de l’ONU réitèrent leurs accusations en novembre 2001, avant qu’un nouveau rapport, en 2002, place SDV sur la liste des entreprises qui «  violent les principes directeurs de l’Organisation de coopération et de développement économiques [OCDE] à l’intention des entreprises multinationales »; et un autre encore, en 2003, la range parmi celles qui n’ont «  pas donné suite aux sollicitations des experts  alors qu’elles avaient tout le temps nécessaire pour se manifester ».

Bataille de la com’

Profitant de l’apathie de la plupart des journalistes, le groupe a pris position sur un autre champ de bataille, celui de la communication, où il investit massivement depuis le début des années 2000. Contrôlant un arsenal allant de la publicité (Euro RSCG) à la télévision (Direct 8), en passant par les sondages (CSA) et la presse gratuite (Matin Plus, Direct Soir), il peut assurer la propagation de messages maîtrisés de bout en bout, de la conception à la diffusion. Accompagnant la conquête des marchés africains, le pôle médias multiplie les offensives de charme envers tout ce que le continent compte de « décideurs » importants.

C’est le cas sur la chaîne Direct 8, dont le directeur des programmes n’est autre que le fils de M. Bolloré, Yannick, et où l’on peut suivre mensuellement une émission présentée par M. Roussin en personne (lire ” Direct 8, chaîne de l’afro-optimisme industriel “). C’est le cas également dans les journaux gratuits que le groupe distribue, tels des tracts, à des millions d’usagers des transports en commun. Profitant de l’ignorance quasi générale et du désintérêt presque total pour les pays africains, Matin Plus et Direct Soir soignent l’image des chefs d’Etats amis, qui, manquant pour la plupart de légitimité électorale, ne se maintiennent au pouvoir que par la répression interne et la propagande d’exportation. Avec son pôle médiatico-publicitaire, Bolloré leur offre, dans cette guerre silencieuse, une arme de choix.

C’est ainsi qu’en 2007,  Matin Plus, quotidien réalisé en partenariat avec Le Monde, dressait un bilan flatteur des vingt-cinq années de règne du chef de l’Etat camerounais Paul Biya. Le gouvernement de Yaoundé, apprenait-on avec surprise, se démenait pour  “revaloriser le pouvoir d’achat des Camerounais et renforcer les institutions de promotion des droits de l’homme ”  (voir Matin plus, 26 octobre 2007). Le ” gratuit ” ne rectifiera pas son discours en février 2008 lorsque les émeutes de la faim seront écrasées dans le sang, faisant une centaine de morts.

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A la barre

Particulièrement bien implanté au Cameroun, mais inquiété par une plainte pour « corruption et favoritisme » déposée par son concurrent Progosa sur l’affaire de la concession du terminal à conteneurs du port de Douala, le groupe Bolloré soigne avec ardeur l’image internationale du président Biya. A sa charge, avec sa presse gratuite, et sans doute à prix d’ami avec sa filiale publicitaire Euro RSCG, dont le président Stéphane Fouks a rendu une visite « riche et fructueuse » (selon Cameroon Tribune, le quotidien gouvernemental camerounais) à la présidence camerounaise en février 2009.

 

Mais la communication du groupe Bolloré dans ce pays ne s’arrête pas là. Pour assurer ses arrières, il fait également les yeux doux aux journalistes locaux. Six rédacteurs en chef de la presse camerounaise furent ainsi invités en mai 2007 pour une virée d’une semaine en France, tous frais payés. Et c’est animé par la même générosité que M. Roussin s’est rendu à Yaoundé en février 2008 pour y signer un partenariat avec la Fondation Chantal Biya, structure opaque de « lutte contre le Sida » et faire-valoir caritatif de l’épouse du président…

 

 

On connaît le goût prononcé du groupe Bolloré pour les poursuites en diffamation contre les rares voix qui osent critiquer ses activités, notamment en Afrique (Billets n°205 et 220, septembre 2011 et janvier 2013). Mais l’intimidation peut passer par d’autres formes, comme l’usage quasi systématique du droit de réponse (notamment auprès de Billets d’Afrique, en juillet puis en août 2010).

Et cela est valable aussi sur le continent africain : le journal camerounais « Le Quotidien de l’Economie » avait par exemple dû publier, le 2 avril 2013, un droit de réponse de la direction générale de la Socapalm, contrôlée par le groupe Bolloré. Cette réaction à un article publié un mois plus tôt et qui contenait selon le producteur industriel d’huile de palme de « graves accusations » sur l’accaparement de terres et les conflits avec les riverains, se concluait en mettant en garde contre la divulgation d’«  accusations sans fondement, et qui pourraient valoir à leurs auteurs des poursuites pénales, pour diffamation ». Ces poursuites-bâillons, ou SLAPP (Strategic Lawsuits Against Public Participation), ne visent pas que des journalistes, dont les rédactions sont par ailleurs toujours peu enclines à s’en prendre à un annonceur aussi important que Bolloré, qui contrôle entre autres le groupe de pub Havas. Des ONG ont aussi ses faveurs judiciaires : ainsi l’association française Sherpa, suite à une procédure initiée fin 2010 avec une ONG allemande et de deux ONG camerounaises auprès de l’OCDE sur les manquements de Socapalm aux « principes directeurs » édictés par cette institution libérale vis-à-vis des multinationales. Mais pour faire bonne mesure dans le cadre de la concertation ouverte avec Sherpa sous l’égide de l’OCDE, le groupe Bolloré a finalement retiré sa plainte.

 

A suivre.

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