La philanthropie, un danger pour la démocratie ? 

Quand Notre Dame a été ravagée par les flammes, un autre feu s’est allumé, celui de la controverse autour de la philanthropie. D’un côté, il y a ceux qui voient en elle l’ombre d’une oligarchie, où quelques-uns, avec leur fortune, tenteraient d’imposer leur volonté sur la destinée collective. De l’autre, des défenseurs convaincus de la philanthropie, qui la considèrent comme une main tendue, venant en appui aux efforts de l’Etat, sans chercher à le remplacer. Décryptage !

Philanthropie en France VS Philanthropie « made in USA »

Le grand débat transatlantique continue… Car il faut bien avouer que la philanthropie est différemment conçue, perçue et appliquée des deux côtés de l’Atlantique. Au pays de l’Oncle Sam, les donations de certains milliardaires américains sont tout bonnement ahurissantes. D’où une question : pourquoi pas en France ?

Le premier constat s’impose de lui-même : en termes de volume, la philanthropie américaine éclipse celle de la France. Aux Etats-Unis, la philanthropie est profondément ancrée dans la vie publique, du citoyen lambda au milliardaire de la Silicon Valley. En bref, tout le monde met la main à la poche. Il suffit d’ailleurs d’aller voir du côté des prestigieuses universités américaines, largement financées par des donations privées, et vous comprendrez l’ampleur du phénomène outre-Atlantique.

En France, la situation est différente, c’est le cas de le dire. Bien que la philanthropie prenne de l’ampleur, elle le fait dans un environnement où le secteur public domine depuis longtemps des domaines comme la culture, l’éducation ou la santé. Mais à mesure que les acteurs économiques prennent une place de plus en plus importante dans ces domaines, cela suscite des débats animés. L’exemple le plus parlant à ce niveau est celui des musées : imaginons un musée français voulant organiser une grande exposition. A partir du moment où les responsables se posent des questions sur ce qui pourrait plaire aux mécènes potentiels, cela montre déjà une influence, bien que subtile, des donateurs privés sur la prise de décision.

Mais cela ne signifie pas que les mécènes français détiennent les rênes de la culture, comme cela peut être le cas outre-Atlantique. En effet, la France maintient une structure où le secteur public détient un poids considérable. Cela dit, une nouvelle dynamique se met en place : les institutions récipiendaires des dons peuvent s’adapter, consciemment ou non, aux souhaits des mécènes. Et entre ces deux cultures philanthropiques, des leçons peuvent être tirées. Mais une chose est sûre, que l’on soit à Paris ou à New York, le débat sur le rôle et l’impact de la philanthropie dans la société est loin d’être clos.

La philanthropie à la lumière de la démocratie française 

La philanthropie est-elle l’antithèse de la démocratie ou sa meilleure alliée ? La question a le mérite d’être posée, et elle l’est dans l’Hexagone, où elle est largement débattue. Lorsqu’il s’agit de dons, qu’ils proviennent d’entreprises ou de particuliers, la France voit s’échanger des milliards d’euros, stimulés par d’importantes incitations fiscales. Mais malgré les sommes en jeu, les montants pâlissent en comparaison des politiques publiques mises en œuvre par l’Etat.

Pourquoi donc tant d’agitation autour de la philanthropie? Pour certains, il s’agit d’un questionnement fondamental sur le rôle de l’Etat par rapport à la philanthropie. Est-ce que l’Etat doit tout contrôler, ou est-ce que la philanthropie a sa place ? Il y a des voix qui suggèrent une démocratisation de la philanthropie, permettant à chaque citoyen de décider des causes qu’il souhaite soutenir, rendant ainsi le processus plus démocratique.

Mais, il y a un hic : la déduction fiscale. En France, la moitié de la population ne paie pas d’impôts et ne bénéficie donc d’aucune déduction fiscale pour ses dons. Est-ce équitable ? De plus, la discussion va inexorablement sur le terrain du rôle de la fiscalité dans la philanthropie. Est-ce que l’on encourage les philanthropes parce qu’ils profitent des avantages fiscaux ou est-ce que ces philanthropes, indépendamment de leurs motivations, font une contribution essentielle à la société ? La ligne est pour le moins floue… Mais une chose est sûre, la philanthropie est inextricablement liée aux débats démocratiques en France. Et puis la société française n’est pas monolithique et ses citoyens ont une vision variée du rôle des élites et de leur influence dans la démocratie.

A ce propos, l’épisode de la cathédrale Notre-Dame (qui a vu une surenchère des dons de la part de grandes fortunes françaises, de Bernard Arnault à Marc ladreit de Lacharrière en passant par les familles Bouygues, Decaux, Pinault, Bettencourt…) est symptomatique de ces tensions. Pour certains, donner des millions pour restaurer un monument historique alors que de nombreuses personnes souffrent de pauvreté est perçu comme une indécence. Pour d’autres, c’est l’expression d’une liberté de choisir où donner et comment. En fin de compte, le débat sur la philanthropie en France est plus qu’une question de chiffres ou de déductions fiscales. Au fond, c’est un miroir des tensions sociales, économiques et politiques du pays, un dialogue continu sur la nature de la démocratie elle-même et sur la manière dont nous définissons la valeur et les priorités dans une société.

L’efficacité des politiques d’Etat face à la philanthropie 

Parler de philanthropie et de démocratie, c’est toucher au cœur même de ce qui façonne une société. Si, d’une part, les politiques d’Etat reçoivent des milliards pour répondre à des crises sociales comme le logement, la présence de milliers de sans-abris dans nos rues soulève des questions (légitimes) sur l’efficacité de ces politiques. Est-ce que les dons privés, même importants, peuvent rivaliser avec les ressources de l’Etat ? Est-ce que la liberté de choisir où donner est un droit inaliénable ou est-ce un symptôme d’une plus grande inégalité ?

La réponse, bien sûr, est nuancée. La démocratie, dérivée des termes grecs « demos » et « kratos », renvoie à l’idée du pouvoir du peuple. En théorie, chaque individu devrait avoir le même pouvoir dans une société démocratique. Mais en pratique, nous voyons des inégalités flagrantes. Nous vivons dans un monde où, malheureusement, l’égalité totale est insaisissable. Chaque système, qu’il soit d’extrême gauche ou d’extrême droite, a ses failles. La recherche de l’égalité totale mène souvent à des régimes totalitaires. Pourtant, nous ne devons pas confondre égalité des droits avec égalité des pouvoirs.

Mais l’important, c’est de reconnaître et d’adresser les inégalités criantes qui menacent la démocratie elle-même. Des inégalités qui, rappelons-le, nourrissent le populisme, créant une division et une méfiance. Vous l’aurez compris, les débats sur la philanthropie ne sont qu’un reflet de ces tensions plus larges. En fin de compte, force est de reconnaître que la philanthropie joue un rôle, et un rôle important, mais nous faisons face à une multitude de questions : est-ce que la société que construisons est juste ? Est-ce que nos institutions démocratiques fonctionnent efficacement pour tous ? Et si ce n’est pas le cas, comment pouvons-nous changer cela ? Ces questions dépassent largement le débat sur la philanthropie, mais elles sont fondamentalement liées à la manière dont nous percevons le rôle de la philanthropie dans notre société.

La philanthropie au service de la citoyenneté 

Au-delà de l’aide financière, la philanthropie renforce-t-elle la notion de citoyenneté et de démocratie participative ? La question a son importance, car si la philanthropie peut permettre à des individus ou des communautés marginalisées de retrouver une voix, elle doit également être exercée de manière réfléchie.

A l’évidence, dans une démocratie, donner la parole à ceux qui sont souvent réduits au silence est vital. La philanthropie, en soutenant des projets locaux et en renforçant la société civile, peut effectivement contribuer à revitaliser ce dialogue démocratique. Et les associations jouent un rôle fondamental dans cette dynamique, permettant à la population d’exprimer ses préoccupations, de s’impliquer et de retrouver un sentiment d’appartenance.

Mais tout comme la démocratie elle-même, la philanthropie doit évoluer. Plutôt que d’adopter une approche « top-down » où le donateur décide des besoins des bénéficiaires, il est impératif de passer à une approche « bottom-up ». Ecouter réellement signifie comprendre que les bénéficiaires savent souvent mieux quiconque ce dont ils ont besoin. Heureusement, la nouvelle vague de philanthropie, celle du 21e siècle, tend à favoriser cette approche participative, en transformant l’assistance en collaboration, en redéfinissant les relations de pouvoir et en repensant les modalités d’intervention. Car il ne s’agit pas seulement de donner, mais de s’assurer que le don est utile, pertinent, et qu’il permet réellement de faire avancer les choses.

Philanthrope et politiques publiques : quelle influence ?

La relation entre philanthropie et politiques publiques est souvent complexe et multidimensionnelle. Au cœur de cette interaction se trouve une question centrale : qui décide, et comment ces décisions influencent-elles la société ? Il est tentant de croire que les grands philanthropes détiennent un pouvoir disproportionné, notamment lorsqu’ils interviennent dans des domaines traditionnellement sous la tutelle de l’Etat. Prenons l’exemple de la Fondation Carasso, qui œuvre pour l’environnement : son impact est-il perçu comme illégitime en raison de la source de ses fonds ?

Non, le débat ne devrait pas s’articuler autour de la légitimité des actions philanthropiques, mais plutôt autour de leur influence potentielle sur les politiques publiques. Dans le monde culturel, par exemple, des fondations comme LVMH ou Cartier créent leurs propres espaces muséaux, modifiant ainsi le paysage culturel existant. Ces initiatives privées peuvent-elles rivaliser avec des institutions publiques emblématiques comme le Louvre ? Et si oui, est-ce une concurrence ou un complément bénéfique ?

En réponse à l’afflux de visiteurs dans des lieux comme la Fondation LVMH, il est évident que ces initiatives privées répondent à un besoin du public. Mais là encore, une question se pose : si ces ressources avaient été mises à la disposition de l’Etat sous forme d’impôts, aurions-nous vu une augmentation des investissements dans la culture publique ? Difficile de trancher…